Petit traité de l'abandon
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Petit traité de l'abandon
Tout d'abord, l'auteur...
A cause d'un étranglement par cordon ombilical à sa naissance, il est atteint d'IMC et d'athétose.
De 3 à 20 ans, il vit à Sierre dans une institution spécialisée pour personnes handicapées.
Il entre au Lycée de la Planta à Sion en 1997 qui lui ouvre les
portes de l’Université de Fribourg où il obtient une licence en lettres
au printemps 2004. Il étudie également le grec ancien au Trinity College
de Dublin de 2001 à 2002.
Il se marie en 2004 avec Corine, suissesse rencontrée à Dublin. Ils
ont trois enfants : Victorine (30/10/2004), Augustin (31/03/2006) et
Céleste (03/01/2011).
Son premier ouvrage, Éloge de la faiblesse, paru en 1999, a été accueilli par le prix Mottart de l’Académie française de soutien à la création littéraire et le prix Montyon 2000 de littérature et de philosophie. Il a été mis en scène en 2007 par harles Torjman au théâtre de la Manufacture à Nancy. La même année, il aide Bernard Campan à écrire le scénariode La Face cachée.
Spécialiste de philosophie helléniste, il est également conférencier et intervient dans le cadre du rapport au handicap, comme dans une vidéo pour Pôle emploi en France.
Alexandre Jollien a été couronné par le Prix Pierre Simon « éthique et société » pour l'ensemble de son œuvre.
Merci Wiki.
(HS pure culture générale: Pour ceux qui ne saurait pas, IMC veut dire Infirmité Motrice Cérébrale. C'est un handicap consécutif à une hypoxie (diminution de l'apport d'oxygène) ou une anoxie (absence d’oxygène) au moment de la naissance ou juste après. L'exemple le plus fréquent est le cordon ombilicale qui s'enroule autour du cou du nourrisson et le prive ainsi d’oxygène pendant un certain laps de temps.
L'athétose est l'ensemble des mouvements involontaires et incontrôlables qui touche notamment les IMC et toute personne ayant des lésions sur les noyaux gris centraux qui contrôle les mouvement... Voilà j'ai fini la digression)...
Pour ce qui est du livre en lui même, "Petit traité de l'abandon", voici quelques extraits:
1 Observer que ce n’est pas compliqué
"Un mien ami a coutume de répéter cette phrase qui m’apaise et
m’enseigne durablement. Je le vois serein au milieu du plus grand
pétrin, dans mille difficultés, toujours calme et paisible. « Ce n’est
pas compliqué » : cette expression n’est pas une invitation à la
résignation, à baisser les bras. Au contraire, cet ami si serein est
toujours dans le réel, à poser des actes pour aller mieux. J’y trouve
assurément une nouvelle ascèse. Ne pas compliquer les choses. Ne rien
surajouter quand les difficultés apparaissent. Sans les nier, il s’agit
de retourner au réel, de voir que l’imaginaire, comme un cheval,
s’emballe et empire la situation. « Ce n’est pas compliqué », c’est
finalement revenir à l’immédiat, au réel. Qu’est-ce qui se passe ?
Qu’est-ce que j’ai sous les yeux pour passer à l’action et calmer le
mental ? Je me rends à la banque, je mets ma carte de crédit dans
l’appareil et l’appareil me l’avale. « Ce n’est pas compliqué. » Au lieu
de me perdre en de vaines critiques qui me conduiront inévitablement à
remettre en cause le système bancaire tout entier, je pose un acte, je
passe à l’action. « Ce n’est pas compliqué » : j’appelle le préposé
aux cartes. « Ce n’est pas compliqué » : je me détends, je respire un
moment.
2 Poser de petits actes de confiance
Selon ce qu’a écrit Aristote, c’est en pratiquant la vertu que l’on
acquiert la vertu. C’est en posant de petits actes de confiance que l’on
devient confiant. Moi, je me disais souvent : « Quand j’aurai la
confiance, je ferai des actes de confiance. » C’est le contraire qui est
vrai. C’est en faisant chaque jour un tout petit peu confiance à la
vie que, peu à peu, la confiance se découvre. Il ne s’agit pas
d’importer la confiance mais de voir qu’elle est déjà en nous. Quand je
prends ma petite fille Céleste dans mes bras, elle ne se dit pas :
« Papa a des spasmes, il va me lâcher, je vais m’écraser sur les
carreaux de la cuisine. » Non, elle se donne totalement. Je crois que
la détermination, c’est conjuguer l’abandon et une infinie confiance en
la vie. Qu’est-ce que je peux faire pour me protéger de la vie ?
Absolument rien. Et pourtant, jour après jour, j’essaie de construire
des boucliers et des façades qui me protégeraient du tragique de
l’existence. La dimension tragique de l’existence fait partie de la
vie. Quand on l’a compris du fond de son être, on peut danser avec ce
tragique sans se crisper. Mais en attendant, il faut beaucoup de
détermination pour s’en approcher, même petit à petit. Le philosophe
Amiel disait : « 1 000 pas en avant, 999 en arrière. C’est cela le
progrès. » Le désir aliéné voudrait que l’on progresse une fois pour
toutes, que l’on guérisse de toutes nos blessures intérieures. Mais la
chose est sans doute radicalement impossible. Ce qui nous sauve, c’est
de savoir que l’on ne peut pas guérir de ses blessures mais que l’on
peut vivre avec, que l’on peut cohabiter avec elles sans qu’il y ait
nécessairement de l’amertume.
3 Tendre l’oreille à son cœur qui est déjà en paix
Est-ce que j’ai la foi ? La réponse est oui et non. Certains jours,
je me lève croyant pour me coucher athée. Pourtant, lorsque je médite en
profondeur, la réponse est oui. Au niveau du cœur, j’y crois
totalement ; mais rationnellement, c’est plus compliqué. Quand j’ai
réalisé ce contraste entre le cœur et l’esprit, j’ai éprouvé une joie
infinie parce que j’y ai trouvé une fois de plus une invitation à
descendre au fond du fond. Comme en pleine mer : à la surface il y a
1 000 vagues, mais au fond du fond, c’est calme, immensément calme et
bienveillant. Plein de joie, j’ai réalisé que je devais tendre l’oreille
à mon cœur qui, lui, est déjà en paix. Le cœur, d’ailleurs, ne dit
jamais non. J’ai constaté que le cœur accepte la réalité, le handicap,
la souffrance, les quolibets, les regards. C’est l’esprit qui m’en
éloigne. C’est le mental, c’est la psychologie à deux sous que je me
suis fabriquée.
4 Être patient face à son impatience
J’ai lu chez le mystique Angelus Silesius une phrase qui me parle et
me touche profondément. Il écrit : « Ami, sois patient. Celui qui veut
se tenir devant le Seigneur doit d’abord marcher 40 ans parmi la
tentation. » 40 ans, c’est long. Je voudrais tellement tourner la page
de mes blessures et de mes fragilités ! Pourtant, Angelus Silesius
m’indique l’attitude à avoir. Je crois que c’est là, peut-être, la
grande fécondité. L’abandon, c’est peut-être ne plus considérer ses
fragilités comme des ennemies à abattre. Ne plus considérer les
blessures comme l’adversaire numéro un, mais les accueillir. Ami, sois
patient ! Que celui qui veut se tenir devant le Seigneur soit dans la
joie ! La prière c’est cela pour moi : être au fond du fond de
nous-mêmes, là où la joie nous précède. Mais il faut d’abord marcher
40 ans parmi la tentation. J’enlèverais peut-être le « d’abord ». On
peut marcher 40 ans dans la blessure et l’angoisse et être dans la joie.
Ce n’est pas quand j’aurai réglé tous mes comptes avec la vie que je
serai heureux. C’est ici et maintenant, avec mes 1 000 blessures, que je
suis déjà dans la joie.
5 Sentir parfois que Dieu est aussi impuissant que soi
Pour le chrétien, la prière procède avant tout d’une rencontre. Une
rencontre avec le Christ, avec Jésus. Et ce qui me plaît dans le
parcours de Jésus, si j’ose dire, si l’on regarde sa vie à vue humaine,
c’est qu’il y a l’échec, sauf son adhésion totale à la vie. La croix,
pour moi, c’est le degré zéro de l’espoir. Jésus a tout raté au moment
de la croix. Tout a échoué. Pourtant, pour le croyant, pour le chrétien,
c’est là que la vie commence. Elle gagne du terrain, ou plutôt, elle
gagne en même temps qu’elle perd. C’est le degré zéro de la vie humaine,
il n’y a pas d’espoir, et pourtant ce degré zéro devient le lieu du
salut. Souvent, dans la prière, je pense à cela. Quand je suis vraiment
dans la désolation, quand il n’y a plus rien à faire, j’ose l’abandon
total. L’autre soir, j’étais dans mon lit, le sommeil ne venait pas.
J’avais une gouttière dans la bouche pour limiter les tensions de ma
nuque. J’avais une pompe à respirer sur le nez pour mieux dormir et un
truc aux jambes pour diminuer les douleurs. Le sommeil ne venait pas.
J’ai prié et j’ai senti que Dieu était aussi impuissant que moi dans
cette situation. Paradoxalement, cela m’a conduit à l’abandon total. Et
c’est peut-être cela le miracle. Dix minutes après, je ronflais comme
un sonneur.
6 Ne pas prétendre maîtriser la vie
Ce qui contrarie le plus l’humilité ce n’est pas la connaissance de
ses compétences, ni de ses talents comme dit l’Évangile, mais c’est la
prétention. Quand je prétends maîtriser la vie, ou vouloir changer
l’autre, je m’éloigne de la terre. Il me plaît
que le mot « humilité » contienne la racine humus, la terre, qui nous
rapproche aussi de l’humour. L’humour peut facilement – enfin, quand il
ne consiste pas à se moquer de l’autre – nous rapprocher de la terre,
de ce que nous sommes vraiment. Un auteur anglais a dit : « Les
commodités, les toilettes, c’est le lieu pour apprendre l’humilité. »
L’humilité, c’est être juste à sa place. Elle se conjugue également,
comme pour Spinoza, avec un acquiescement total à soi. Celui qui se
dénigre va mendier à l’extérieur l’acquiescement, le bonheur, le
plaisir, la joie d’être. Tandis que l’humble, parce qu’il « colle » à la
réalité, n’a pas besoin d’importer le bonheur. Le suffisant et celui
qui se dénigre sont loin de l’humilité. Le premier se coupe du monde en
ne comptant que sur lui-même. Le second se coupe de lui-même en ne
comptant que sur les autres. Ce qui m’aide à m’approcher peu ou prou de
l’humilité, c’est la consigne d’Épicure qui disait en substance que
quand un autre nous critique, c’est un gain plus qu’une perte. J’aime
l’idée que l’humilité, ce n’est pas se formaliser des remarques des
autres, mais juste être en accord total avec la réalité du moment. Je ne
suis pas ce que j’étais hier, je ne suis pas ce que je serai demain,
je suis humblement ce que je suis ici et maintenant. Être humblement,
là, signifie totalement, pleinement, joyeusement."
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